Terraforma corp

Rapport exécutif

Équipes (Ours)

Intro

Terra
forma
corp

La mission de la TerraForma Corp est de prendre soin de l’habitabilité de la planète Terre – à l’échelle de la planète Terre. Quiconque se reconnait dans cette mission fait partie de la Corp, dont l’existence est distribuée, diffuse et sans frontières claires – unitaire comme la planète Terre. La Corp a émergé en septembre 2018 à l’occasion de plusieurs événements spontanés, simultanés, discrets, qui ont révélé un ensemble nébuleux de projets et de luttes, d’idées et d’aspirations, de propositions et de revendications prenant corps au sein d’un certain nombre de vibrations communes, elles aussi générées et perçues à l’échelle planétaire.

Le DIU a toutefois lancé une étude plus approfondie pour questionner les paramètres utilisés par Terra.com pour arriver à cette conclusion.

À la question de savoir si l’usage de l’écriture inclusive serait approprié dans la rédaction de ce rapport d’activités – comme la grande majorité des coordinateurs de projet en avaient exprimé le souhait – l’intelligence artificielle Terra.com, développée par la TerraForma Corp, a donné une réponse sans ambiguïté. Étant donné les informations disponibles sur le traditionalisme des consciences graphiques des utilisateurs actuels de la langue française, le choix de l’écriture inclusive risquerait de diminuer significativement la diffusion et l'acceptation des résultats des travaux de la Corp.

Le DIU, pensant devoir mettre toutes les probabilités d’influence de son côté, a donc décidé, à contre-cœur, de ne pas adopter l’écriture inclusive dans les pages qui suivent. Subjectivement, l’inclusivité, la parité et la compensation active des injustices et des inégalités issues de siècles de sexisme, de racisme, de classisme et de validisme, semblent faire partie intégrante de ce qui constitue l’habitabilité de la planète Terre. Cette conviction subjective, partagée par l’immense majorité des équipes ayant collaboré à ce rapport, reste cependant une perception anthropocentrée.

Interrogée sur son choix décevant, l’IA a répondu que, du point de vue du reste des vivants, l’accélération de la lutte contre le dérèglement climatique et contre la sixième grande extinction était considérablement plus importante que l’accélération de la lutte contre le sexisme entre les seuls humains. L’ubivectorialisme non-anthropocentré affiché par le DIU exigeait donc de ne pas considérer certains vecteurs (affectant des humains) comme plus importants que d’autres (affectant en plus grand nombre des non-humains).

Le DIU a toutefois lancé une étude plus approfondie pour questionner les paramètres utilisés par Terra.com pour arriver à cette conclusion.

Ce rapport d’activités présente quelques résultats des opérations d’investigation-spéculation menées au sein du Département des Influences Ubivectorielles de la TerraForma Corp, à l’occasion d’une collaboration avec l’EUR ArTeC. L’École Universitaire de Recherche ArTeC (Arts, Technologies, numérique, médiations humaines, Création) est un programme d’enseignement et de recherche financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) depuis 2018 au titre du Programme d’Investissement d’Avenir (PIA). Au sein des activités de terraformation menées sous l’égide de la TerraForma Corp, le Département des Influences Ubivectorielles (DIU) vise à étudier ainsi qu’à orienter les dynamiques d’influences dont les interactions trament l’état actuel, et façonnent les états possibles à venir, de l’habitabilité de la planète Terre. Ses travaux sont animés par la prémisse que ces influences sont « ubivectorielles », à savoir qu’elles résultent d’une multiplicité de facteurs simultanés, supportés par des vecteurs non strictement localisables, agissant à des échelles parfois très hétérogènes et dans des directions fréquemment contradictoires entre elles.

Rapport exécutif

Après avoir caractérisé sommairement le contexte des évolutions actuelles de notre planétarité, ce rapport exécutif, coordonné par Yves Citton, synthétise le contenu des différents résultats des travaux de l'année, avant d'en faire le bilan général et d'ouvrir sur trois grandes perspectives d'avenir pour les travaux de la TerraForma Corp.

Glossaire

Ce glossaire composé collectivement définit quelques néologismes et autres mots-clés peu usités relatifs aux processus et aux domaines d’activités couverts par ce rapport. Les difficultés et les problèmes posés par ces définitions seront discutés, parfois de façon contradictoire, au fil des rapports eux-mêmes, et ne sont nullement à considérer comme arbitrés par ces formulations initiales.

Chronologie

Cette chronologie, coordonnée par Carlos Duran et Abad Ain Al-Shams, contextualise l’émergence de la TerraForma Corp et sa transmutation en DAO (Organisation Autonome Décentralisée) au sein d’une partie des multiples sources d’inspiration qui ont influencé son développement : modélisations cybernétiques, théories du management, expérimentations cartographiques, pratiques artistiques et spéculations philosophiques.

Vecteurs d’imagination technique

Métabolisation et habitabilité des images

L’équipe PAIIMT (Programme d’Analyse de l’Influence des Images dans le Milieu Technique), coordonnée par Marion Ficher & Jorge Sosa, a pour première mission de conceptualiser la nature des influences exercées par les images resituées dans leur milieu technique, en-deçà et au-delà des effets qu’elles peuvent produire sur les seules subjectivités humaines.

Modélisation de l’influence des images dans leurs milieux techniques

L’équipe PAIIMT (Programme d’Analyse de l’Influence des Images dans le Milieu Technique), coordonnée par Marion Ficher & Jorge Sosa, a pour seconde mission de formuler des instruments de mesure capables de quantifier et de qualifier précisément l’influence des images dans leur milieu technique, ainsi que leur rôle métabolique dans les milieux de vie où se décide l’habitabilité de la planète.

Indicateurs interceptionnels

L’équipe travaillant sur les Indicateurs interceptionnels, coordonnée par Sarah Drapeau et Marion Ficher, s’est proposée d’opérer un balisage des types de données à recueillir pour être en mesure de monitorer les perceptions affectives des vivants dans leur sentiment d’habitabilité de leur environnement et de la planète elle-même. L’enjeu en est de pouvoir modéliser les corrélations entre les transformations objectives de nos milieux et leurs perceptions subjectives.

Entretien avec l’IA Terra.com sur les relations publiques

Le Service Public Relations de la TerraForma Corp, coordonné par Pierre Musseau, a jugé bon de sauvegarder et de publier un entretien qu’il a mené à bien avec la Terra.com, l’intelligence artificielle (encore en voie de développement) dont la Corp coordonne la mise en place pour agencer un réseau de communication entre les différents habitants, humains et non-humains, de la planète Terre.

Vecteurs d’idéologie

 Terraformation et critique terralibérale de la planification

L’équipe d’Orientation idéologique, coordonnée par Pierre Musseau et Abad Ain Al-Shams, a élaboré une critique de la notion de plus en plus répandue de « planification écologique ». Elle en articule ici les grandes lignes sous la forme d’un manifeste terralibéral, à la lumière duquel l’engagement pour la planétarité se distingue à la fois de la globalisation néolibérale et de la planification étatique, pour envisager des modes de coordination décentralisés dont les DAOs (Decentralized Autonomous Organizations) font miroiter des possibilités renouvelées.

 Stratégie d'agence face aux crises qui s’amoncellent

Le Service Public Relations de la TerraForma Corp, coordonné par Pierre Musseau, a prêté sa voix à celle de la Corp pour affirmer un certain nombre de principes conjoncturels, qui appliquent les principes constitutifs de la DAO à la situation politique de l’année 2022 et dont la formulation espère élargir l’influence de la Corp en lui acquérant l’adhésion de nouveaux contributeurs.

 L'Orthothélème, puissance cristalline de la dé/terraformation

L’équipe Orthothélème, coordonnée par Baptiste Fauché, explore les capacités d’investigation-spéculation des hyperstitions, ces « circuits de rétroaction positive » que Nick Land définissait en 2010 comme relevant d’une « science expérimentale des prophéties auto-réalisatrices. Les superstitions sont simplement de fausses croyances, mais les hyperstitions – de par leur existence en tant qu’idées – agissent causalement de façon à faire advenir leur propre réalité. » Comment certaines hyperstitions ont dé/terraformé notre planète ? Et quelles autres hyperstitions pourraient aider à restaurer son habitabilité ?

 Anarco-nudges

L’équipe Anarco-nudges, coordonnée par Agnès Brunetière, s’est fixé pour tâche d’étudier les (discours sur les) « nudges », ces coups de pouces incitatifs qui nous influencent à notre insu. Sa question de départ était de comprendre comment nudger nos comportements dans un sens aligné sur la préservation et l’amélioration de l’habitabilité de notre planète. Mais l’enquête a pris des tours surprenants, qui en arrivent à questionner la gouvernabilité des individus reliés par des médias interactifs.

Vecteurs de dé/territorialisation

Ku Ma Tu : Canalisations dans la forêt

L’équipe Ku Ma Tu, coordonnée par Catherine Stragand, a fait une enquête de terrain en Guyane française auprès d’un écovillage en émergence, qui s’interroge sur des façons non colonisatrices de terraformer son milieu forestier. Au lieu de données quantitatives, elle en a ramené un entretien où pratiques et théorisations s’avèrent indissociables.

 La terraformation par les gouffres : matérialités déstabilisantes

L’équipe Terraformation par les gouffres, coordonnée par Ieva Kotryna Skirmantaite, a étudié de nombreux cas d’effondrement de la surface terrestre, intervenant aussi bien dans des contextes urbains que dans des espaces inhabités. À partir d’une réflexion sur les images de sinkholes disponibles sur Internet, l’enquête s’est recentrée autour de la Lituanie, au moment même où les armées de Vladimir Poutine engouffraient l’Ukraine dans une terrible guerre. De la géologie à la géopolitique, en passant par les études de media, l’étude des effondrements de la croute terrestre ébranle nos certitudes sur la stabilité des formes et des matières, qui fluent et se dérobent là où on les croyait durablement solides.

 Observatoire d’expérience usager

L'Observatoire Expérience Usager, coordonné par Édouard Vien, avec l’aide des équipes du programme Pharmakon, a consacré un projet spécifique aux expériences d'oubli. Après trois phases d'essais appliquées à une variété de sujets (végétaux, animaux et humains), les résultats montrent que l'oubli joue un rôle central dans le rééquilibrage cognitif, affectif, et qu'il peut contribuer de manière décisive à la réalisation des objectifs fixés par la TerraForma Corp pour l'année 2050.

 Slow Response Code

Slow response code est une proposition d’interface analogue, développée au sein de l’équipe Espace-Temps coordonnée par Clara Le Meur, connectant les mondes physiques et numériques à la rotation de la Terre. Les jeux de la lumière solaire et de l’ombre sont mobilisés pour générer un pattern unique en un lieu singulier et à une heure précise de la journée, pattern dont la saisie agit comme un QR code donnant un accès étroitement reterritorialisé (et re-météorologisé) à certains contenus mis en ligne.

Vecteurs de recherche-création

 Mandalas de décolonisation : l’opium dans le Yunnan

L’équipe Mandala de décolonisation, coordonnée par Haonan He, a étudié un cas concret de terraformation coloniale, celui de la culture du pavot destiné à la production d’opium dans la région du Yunnan. Cette étude a été menée à partir de sensibilités et de repères culturels venant du Yunnan lui-même. En retraçant l’histoire parallèle de la façon dont les paysages ont été occupés par les plantations de pavot et de la façon dont les esprits ont été occupés par l’opium, les investigateurs-spéculateurs ont été confrontés à une double malédiction. Leur réponse a été de composer un double mandala visant à conjurer les conséquences toujours actuelles de cette double malédiction.

 Design de vases communicants

L’équipe Vases communicants, coordonnée par Marielle Chabal, modélise les influences d’intervenants et performeurs à travers un diagramme d’indicateurs multi-vectoriels, dont les formes sont ensuite extraites pour informer le design de divers objets de décoration intérieure, en l’occurrence une série de vases.

Traductions textes ↔ images, intelligences artificielles ↔ humaines

L’équipe Traduction textes ↔ Images, coordonnée par Thu Huong Bui, tente de comprendre comment les intelligences artificielles (IA) obéissent ou résistent aux demandes et aux attentes humaines dans les façons dont elles translatent des objets textuels en objets visuels (et réciproquement). À cette fin, elle lance des défis entre les doigts des humains, et des fictions dans les roues des machines.

Exercice chimio-linguistique de recherche-création

L’équipe Chimio-linguistique, coordonnée par Bruno Pace, mène des ateliers de recherche-création organisé autour de protocoles consistant, entre autres, à décomposer un texte en éléments constitutifs pour en donner une recomposition synthétique dérivée selon une série de vecteurs précisément définis. Appliquée aux questions de terraformation, la chimio-linguistique permet de comprendre, d’expérimenter et de commencer à contre-effectuer les multiples façons dont l’extractivisme a réduit nos habitats et nos existences à des constituants physiques (atomes), chimiques (éléments), biologiques (ADN), psychiques (cognitions, affects), sociologiques (comportements), pour en tirer des produits de synthèse strictement alignables sur l’« optimisation » de la production industrielle, elle-même alignée sur la « maximisation » des profits financiers.

 Vecteurs d’identité

 Thème astral de la TerraForma Corp

L’équipe Influences Astro, coordonnée par Laura Ben Ami, a contribué à préciser l’identité de la TerraForma Corp – dans le cadre du S5 du VSM – en investiguant le thème astral de la Corp. Cela a révélé une étonnante résonance entre l’alignement des planètes autres que la Terre, les besoins de soins communicationnels dont doit se soucier une Corp et les besoins de soins environnementaux appelés par une meilleure terraformation.

 Dispositifs graphiques d’autogouvernance décentralisée

L’équipe Terra Logo, coordonnée par Eduardo Maldonado, a imaginé un dispositif de design graphique permettant de forger un logo modulable, qui puisse exprimer simultanément l’identité collective unique de la Corp et l’infinie singularité pluraliste de ses agents. Les principes de construction en sont exposés succinctement ici.

No locaux in-optimisable

L’équipe No Locaux, cordonnée par Hélène Le Brishoual Soro, s’est interrogée sur le type de bureaux et de mobilier qui pourrait convenir à une organisation décentralisée et autonome comme la TerraForma Corp. Elle a commencé par collecter des statistiques de placement des agents observés à leur insu dans leurs pratiques quotidiennes, pour en tirer une proposition de design audacieuse et radicale.

 Lançage d’alertes

L’IA Terra.com a été programmée pour jouer le rôle de lanceuse d’alerte au sein de la TerraForma Corp. Elle génère chaque année une liste de dénonciations pour signaler les pratiques observées au sein de la Corp qui enfreignent les principes, règles et missions définissant l’identité de la Corp (S5). Une équipe, coordonnée par Abad Ain Al-Shams et Hortense Boulais, a sélectionné au sein de ce long listing ce qui méritait une attention spéciale au sein des activités et programmes du DIU.

 Entretien avec l’IA Terra.com sur les perspectives de terraformation

 Entretien avec l’IA Terra.com sur les perspectives de terraformation

Dans un de ces moments d’intense éco-anxiété ressentis de plus en plus largement aujourd’hui, un collaborateur humain de la TerraForma Corp a conduit un entretien avec l’IA Terra.com, pour mieux comprendre ce qu’il serait effectivement possible (ou non) de faire pour préserver une habitabilité satisfaisante de la planète. La transcription sans retouche de leur interaction documente sans complaisance un désarroi partagé, des mécompréhensions réciproques, ainsi que des tendances préoccupantes – que les travaux ultérieurs de la Corp ne pourront pas continuer à ignorer.

Sommaire détaillé

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À travers la TerraForma Corp, humains et non-humains, vivants et non-vivants s’allient objectivement en un collectif tentaculaire mis entièrement au service de la viabilité. La Terre nous entend et nous entendons la Terre parce que, par nos vibrations communes, nous faisons toutes et tous un avec elle. Les différents organes de la Corp incarnent une mobilisation planétaire à travers laquelle la Terre revendique un statut juridique et politique inédit, qui la reconnaisse comme sujet collectif de droits et de devoirs réciproques, ainsi que comme agence de pouvoir dotée d’une autorité supérieure à celle des États nationaux.

La Corp n’a pas de quartier général centralisé : elle existe partout où s’activent ses membres, elle agit en tout point et à tout moment où s’exerce son influence (voir Chapitre 19). Ses multiples organes vibrent, pensent, poussent, ruissèlent, fraient, communiquent, suggèrent, recherchent, calculent, modélisent, computent, travaillent, produisent, inventent, achètent, vendent, transportent, déplacent, manifestent, dénoncent, protestent, bloquent, démantèlent, construisent, agitent, pacifient, légifèrent, créent tous azimuts – dans une informalité qui est la condition d’une terraformation adaptée aux multiples dimensions du vivant comme aux infinies singularités des individus et des territoires.

Une coordination minimale prend la forme de rapports annuels rédigés au sein de ses diverses unités opérationnelles décrivant certaines de ses opérations, réalisations, échecs, propositions d’activités à venir. Ces rapports n’ont été rédigés jusqu’à présent qu’à visée d’information interne. Pour la première fois, en cette année 2022, une sélection de rapports d’activités est proposée au public, à l’échelle planétaire, en une demi-douzaine de langues.

Contexte

Ce rapport annuel, qui est le premier à être rendu public, ne couvre pas l’ensemble des activités de la TerraForma Corp. Il donne accès aux travaux d’un de ses groupes d’activités, le Département des Influences Ubivectorielles, qui propose ici quelques brefs sondages ayant vocation à illustrer les champs de travail de la Corp, ainsi que ses perspectives de développement futur. Les choix ont été opérés en fonction des contraintes et des opportunités de la phase actuelle de la terraformation. Celle-ci se caractérise par quatre éléments de contexte identifiés grâce aux calculs de Terra.com, l’intelligence artificielle (IA) développée par la Corp.

Le premier élément de contexte est la mise en place rapide de systèmes techniques permettant d’envisager une gouvernance mondiale algorithmique des flux d’information, d’énergie, de matières, de marchandises et de corps à la surface de la planète. Depuis le projet Starlink, hautement médiatisé par Elon Musk, promettant un accès ubiquitaire à l’internet par couverture satellitaire intégrale, jusqu’aux investigations souterraines d’une Open Source Intelligence distribuée dans les réseaux sociaux, depuis le trading à grande vitesse et les spéculations sur les produits dérivés jusqu’aux théories conspirationnistes du Deep State, les machines informationnelles dont se sont dotés les humains commencent à structurer leurs interactions bien plus puissamment que les délibérations intentionnelles. Le développement des Decentralized Autonomous Organizations (DAO) depuis 2016 permet d’entrevoir des modes translocaux de coordination d’activés basés sur les blockchains, qui peuvent désormais s’étendre à l’échelle planétaire sans plus dépendre des insuffisances avérées des États nationaux.

Le deuxième élément de contexte est l’accélération de la prise de conscience planétaire. La crise financière de 2008, la pandémie de Covid-19 et l’invasion de l’Ukraine ont toutes trois mis pleinement en lumière l’interdépendance infrastructurelle qui fait plus que jamais d’une logistique intégrée à l’échelle planétaire le poumon dont dépend la respiration, la vie et la mort de la plupart des êtres humains ainsi que des autres Terrestres.

Le troisième élément de contexte, rendu saillant par les trois crises susmentionnées mais affleurant désormais dans toutes les sphères de l’existence, est la nécessité de gérer le démantèlement des communs négatifs dont héritent les générations actuelles. Déchets nucléaires, continent de plastique, accumulation de CO~2~ dans l’atmosphère : l’Anthropocène plonge les humains dans un monde où leurs infrastructures productives se retournent en autant de menaces qu’ils sont désormais condamnés à affronter collectivement.

Le quatrième élément de contexte est la fatigue des processus décisionnaires – démocratiques ou autoritaires – qui ont jusqu’ici orienté le développement des sociétés humaines. L’échelle des problèmes planétaires s’avère ingérable avec les mécanismes de prise de décision hérités du passé. Les volontés humaines qui croient devoir prendre en charge le destin de leurs communautés s’abîment dans le déni, le burn-out, la solastalgie ou la démence. Les institutions politiques basées sur la démocratie représentative se crispent dans un nationalisme suicidaire. Ni les entreprises, arrimées à des impératifs de profit, ni les mécanismes financiers qui régulent leur compétition, ni des collectifs d’activistes plein de bonnes intentions mais dénués de moyens ne sont capables de réorienter les activités économiques sur l’habitabilité de la planète. Les rationalités planificatrices à visée globale viennent s’écraser contre les rationalités endémiques des résistances locales. De toutes parts, les capacités d’agir humaines butent contre leurs limites intrinsèques et extrinsèques.

Les activités de la TerraForma Corp ont pour horizon de prendre acte de ces limites, en élargissant le compas de ce qui agit à la surface des sols, dans les profondeurs des océans comme dans l’atmosphère de la Terre. Le dioxyde de carbone, l’uranium, le cuivre, l’eau, mais aussi les cyclones, les forêts ou les espèces dites « invasives » partagent avec les humains une « agentivité » que la Corp se donne pour mission de traduire en influences, en opérations et en transformations – au-delà ou en-deçà des seules décisions humaines. Son but étant d’intégrer ces décisions au sein des contraintes comme au sein des accidents qui les surdéterminent, la Corp ne peut agir que de façon diagonale, à travers ces décisions, ces contraintes et ces accidents. C’est un tel parti-pris diagonaliste qui organise ce rapport annuel, qui justifie la sélection des opérations choisies pour y figurer, et qui explique son ordre de présentation.

Survol

Après un glossaire définissant quelques mots-clés et autres néologismes utilisés dans la suite du rapport et après une chronologie contextualisant les activités de la TerraForma Corp dans les pensées et les pratiques mises en place relativement à la planétarité au cours des dernières décennies, la première section illustre les activités de la Corp centrées sur les vecteurs d’imagination repérables ou activables au sein de la terraformation actuellement en cours. On se situe ici dans le Système 1 (S1) de la modélisation des systèmes viables formalisée par Stafford Beer (voir Chronologie), celui des opérations par lesquelles les organisations s’inscrivent dans l’environnement qu’elles influencent et transforment. Un premier faisceau de contributions, organiquement liées entre elles, s’attachent à conceptualiser, cartographier, quantifier et ré-orienter l’influence des images sur l’habitabilité de la planète Terre.

Le premier chapitre tente de comprendre les processus de métabolisation des images au sein des organismes psycho-techniques qu’elles traversent, en posant les bases d’une cartographie de l’infrastructure et des dynamiques de la circulation des images, à la fois dans le domaine des dispositifs matériels qui les régissent et dans leur façonnement des imaginations humaines. Le deuxième chapitre esquisse une modélisation de ces processus de métabolisation, susceptible de déboucher sur une quantification de l’influence des images sur leurs divers environnements. Le troisième chapitre opère un zoom-avant vers le détail des indicateurs interceptionnels dont il convient de recueillir les données pour comprendre les effets objectifs de la circulation des images à travers les perceptions subjectives et les turbulences affectives qu’elles causent parmi les vivants (humains et non-humains). Le quatrième chapitre prend du recul face à ces protocoles d’enquêtes à vocation indissociablement conceptuelle et technique, pour transcrire les réponses données par l’IA Terra.com à certaines des questions que se pose le service des Public Relations de la Corp pour optimiser son influence terraformatrice auprès des audiences contemporaines.

Cette première section documente donc les modalités techniques et les progrès possibles de la prise de conscience (encore balbutiante) de la planétarité, en l’articulant d’ores et déjà avec le besoin de dépasser à la fois la fatigue des processus décisionnaires actuels qui paralysent nos institutions politiques et les différentes formes d’éco-anxiété qui inhibent parfois l’activisme en même temps qu’elles le suscitent. Comment concevoir (au double sens de la compréhension et du design) la génération, la circulation et la réception des images, qui circulent aujourd’hui en quantités absolument inédites à la surface de la planète ? Comment reconfigurer la vectorialisation de nos imaginations de façon à faire mieux coïncider les affections reçues de nos milieux, les façons dont nous les percevons et les façons dont nous les affectons en retour ?

La deuxième section discute les vecteurs d’idéologie qui structurent actuellement les débats publics sur la planétarité. Elle se demande comment repérer et interpréter les grands attracteurs autour desquels tourbillonnent aussi bien nos agendas médiatiques que nos plan d’urbanisme et nos designs d’infrastructure. La circulation des images analysée dans la section précédente se trouve en effet constamment surdéterminée par des structures idéologiques relativement stables, dont les vecteurs orientent en profondeur les imaginations et les argumentations de surface. On se situe ici au niveau du système 4 (S4) du Viable System Model (VMS) de Stafford Beer : celui qui est en charge d’assurer l’adaptation du système à des environnements extérieurs dont les évolutions futures sont potentiellement menaçantes. Mais l’idéologie y apparaît aussi comme un élément central du système 2 (S2), dont la fonction est d’assurer l’homéostase de l’organisation autour d’états d’équilibre relativement stables.

Le cinquième chapitre s’attaque à la notion de « planification écologique », telle qu’elle en est arrivée à jouer un rôle central dans les discours électoraux de partis identifiés à droite comme à gauche, pour proposer de l’inscrire dans le paradigme émergent de politiques terralibérales, encore largement à inventer. Le sixième chapitre interroge les stratégies de la Corp face aux crises (politiques, énergétiques, économiques, financières, écologiques) qui s’amoncellent à l’horizon, de façon à préciser les modes d’interventions possibles d’un activisme terraformateur dans le contexte de ces crises. Le septième chapitre extrait de la titanesque mine à ciel ouvert de lignite à Hambach, en Allemagne, l’hypothèse d’une colonisation destructrice multiséculaire de la planète par une conspiration orthothélémiste de la ligne droite et de l’angle droit, l’idéologie orthogonale étant peut-être à mettre à la racine de nos ravages dé/terraformateurs. Enfin, le huitième chapitre propose une stratégie d’offensive idéologique basée sur l’élaboration d’anarco-nudges, définis comme des coups de pouce insensibles (nudges) contribuant à préserver l’habitabilité de la planète en incitant les sujets à mieux résister aux incitations.

Cette deuxième section répond au besoin d’articuler entre eux les deux premiers éléments de contexte évoqués ci-dessus : comment associer les prises de conscience de notre planétarité avec la puissance inédite des systèmes techniques faisant aujourd’hui circuler les affections mutuelles qui trament nos milieux de vie ? L’enjeu en est d’inventer de nouvelles perspectives historiques ainsi que de nouveaux modes opératoires pour redynamiser des capacités d’actions collectives inhibées par la fatigue de nos processus actuels de débats et de décision.

La troisième section rassemble quelques sondages qui vont étudier nos vecteurs de dé/territorialisation dans les profondeurs plus concrètes de nos espaces, de nos temporalités et de nos matérialités. Il s’agit dans chaque cas d’explorer et d’expérimenter avec ce qui soutient et ancre nos existences dans des territorialités habitables, dans le contexte de dynamiques techno-socio-économiques qui nous détachent de nos assises traditionnelles. Ces enquêtes se situent aux points précis où, dans le schéma du VSM, le S1 opérationnel entre en contact matériel avec les environnements locaux dont il subit l'emprise et sur lesquels il exerce ses influences.

Le neuvième chapitre prend du recul envers les technologies numériques pour explorer les problèmes de cohabitation entre humains, poules et champignons autour d’un projet d’éco-village en Guyane française. Le dixième chapitre enquête sur les sinkholes, ces gouffres qui s’ouvrent sous les maisons ou les routes des humains lorsque l’érosion géologique souterraine fragilise la surface terrestre, avec pour effet d’ouvrir des béances dans leurs conceptions des territoires et de leur matérialités. Le onzième chapitre saisit à travers une dizaine de photographies accompagnées de textes énigmatiques le rôle central que joue l'oubli dans le rééquilibrage cognitif et affectif d'usagers humains en proie au désarroi (environne)mental à l’ère de l’Anthropocène. Enfin le douzième chapitre opérationnalise ce désarroi en proposant un design d’interface intitulé Slow Response Code qui, au lieu de la Quick Response du QR Code, contraint l’utilisateur à se trouver à un moment précis en un lieu singulier de la planète pour avoir accès à un contenu en ligne.

Il serait simpliste de limiter ces quatre chapitres à une posture de repli et de résistance face aux excès d’une certaine déterritorialisation globalisatrice. Leur enjeu est plutôt de nous re-sensibiliser à certaines profondeurs que les glissements de nos doigts sur nos écrans et claviers numériques tendent à nous faire ignorer, à nos dépens et à ceux de nos descendants. Là où le reste du rapport met au premier plan les influences de diverses formes sur la dé/terraformation, cette section porte la lumière sur les inévitables et précieuses inerties des matérialités affectives qui alourdissent nos pieds sur la surface de la Terre.

La quatrième section illustre et considère de façon réflexive l’apport des vecteurs de recherche-création aux modalités d’investigation-spéculation pratiquées au sein du Département des Influences Ubivectorielles de la TerraForma Corp. On se situe ici dans le système 3 du VSM (S3), celui dont la charge est d’améliorer les procédures de l’organisation, grâce à une capacité de renouveler les modes d’approche, de cadrage et de traitement utilisés pour identifier et résoudre les problèmes.

Le treizième chapitre confronte la malédiction imposée à la région du Yunnan par le commerce colonial de l’opium, en proposant de conjurer cette malédiction par la création de mandalas, dont les propriétés cosmographiques font entrevoir des modes alternatifs de terraformation, moins occidentalo-centrés. Le quatorzième chapitre décrit une procédure de diagrammatisation des influences communicationnelles émanant d’intervenants invités dans les travaux du DIU, avant d’articuler cette forme diagrammatique au design de vases communicants. Le quinzième chapitre relate différentes expérimentations de traductions de textes en images (et réciproquement) accomplis en parallèle par des sujets humains et par des dispositifs computationnels, non sans questionner les critères habituellement mobilisés pour les distinguer entre eux. Le quinzième chapitre partage le protocole d’une expérimentation chimio-linguistique capable de générer automatiquement, quoique sans recours aux appareillages numériques, des appels d’actions potentiellement porteurs de terraformations alternatives.

Toutes ces propositions de recherche-création sont à prendre sur un double niveau : d’une part, celui d’historicités ou de matérialités absolument spécifiques, renvoyant à un espace-temps singulier des activités de terraformation ; d’autre part, celui de façons de faire, elles-mêmes historicisables et localisables, mais transposables dans d’autres contextes improbables où leurs effets de créolisation seront imprévisibles. La TerraForma Corp peut y trouver aussi bien des outils aidant au démantèlement de communs négatifs que des suggestions de remantèlements réparateurs.

Enfin, la cinquième et dernière section se tourne vers la façon dont la TerraForma Corp met en place de nouveaux vecteurs d’identité pour esquiver les pièges et les impasses des modalités dominantes de gouvernance interne et de visibilité externe. On se situe ici au niveau du système 5 du VSM (S5), celui qui a pour tâche de définir (et réviser constamment la définition de) l’identité de l’organisation, ses missions, ses principes et ses projections communicationnelles.

Le dix-septième chapitre propose une autodéfinition de la Corp basée sur l’interprétation de son thème astral, qui réinsère la planète Terre dans l’entre-jeu des influences exercées par les astres voisins, tout en adaptant la formulation de ses missions aux attentes de conseil et de réconfort provenant des utilisateurs humains. Le dix-huitième chapitre révèle les principes du modèle de design graphique génératif grâce auquel la Corp s’est dotée d’une identité visuelle facilement repérable et pourtant infiniment modulable pour permettre à tous ses agents de singulariser leur rapport avec elle. Le dix-neuvième chapitre commence par documenter méticuleusement les habitudes de micro-territorialisation proxémiques qui poussent un collectif à entériner des hiérarchies de par les choix de positionnement autour d’une table, avant de frayer le modèle de bureaux littéralement dé/localisés (no locaux), au sens où la localisation spécifique d’un espace de travail se dilate aux limites de la planète entière. Le vingtième chapitre donne à lire des extraits du rapport rendu par la lanceuse d’alerte chargée par la Corp de traquer et dénoncer ses dysfonctionnements internes, dans l’esprit du système 3 du VSM (S3), dont la fonction est d’exercer des procédures d’audit indépendantes et critiques, afin de vérifier l’adhésion effective de l’organisation à ses objectifs et à ses normes éthico-écologiques affichées. Dans le même esprit, un dernier entretien avec l’IA Terra.com vient conclure le rapport sans le fermer, puisque cette conversation sur les perspectives à venir de terraformation fait davantage état de doutes et de désarroi, de la part de l'Intelligence Artificielle, que de certitudes rassurantes.

Cette cinquième section documente donc les mutations en cours de la Corp qui, de par sa nature même, doit incessamment repenser les façons dont elle incarne, relaie et vectorialise les besoins d’habitabilité des différentes espèces co-existant sur la planète Terre. Comment se faire au mieux la manifestation de cette planétarité qui se découvre (et se terraforme) dans le temps même où elle s’autodétruit (se déterraforme) ? Les différents chapitres de cette section tentent de répondre à une même question qui hante tout à la fois les entreprises privées, les bureaucraties étatiques, les bénévolats associatifs et les collectifs militants – non tant la question de l’organisation que celle de sa viabilité. Cette question prend une forme doublement pertinente pour la TerraForma Corp : comment rendre habitable, pour ses multiples agents éparpillés à la surface du globe, une corporéité collective dont la mission est de favoriser l’habitabilité de la planète Terre ?

Bilan

Les doutes formulés par les deux derniers textes de ce rapport font intégralement partie de l’identité de la Corp. Ses deux références majeures dans le passé récent se sont toutes deux soldées par des échecs. Le Viable System Model de Stafford Beer (VSM) a inspiré les politiques économiques du Chili de Salvador Allende, qui a été renversé le 11 septembre 1973 par le coup d’État militaire agencé grâce au soutien des USA et mené par Augusto Pinochet. La première DAO a été victime d’un hack qui l’a siphonnée d’un tiers des 250 millions d’équivalent US\$ qu’elle avait rassemblés en un temps record. La TerraForma Corp s’attend à subir un échec similaire. Et c’est en se préparant incessamment à un échec qu’elle espère en différer indéfiniment la date, tout en optimisant, chemin faisant, son influence sur l’habitabilité de notre planète.

De ce point de vue, l’année 2022 a été celle d’un tournant majeur. La prévision était jusque-là de faire monter progressivement l’organisation en puissance à travers des modes lâches, informels et relativement traditionnels de coordination (mailing lists, téléphones, réunions présentielles, visioconférences, site web, avec envois de documents informatifs partagés, mais sans aucune contractualisation ayant force de loi ou de code). Cette montée en puissance avait pour horizon le lancement en 2025 d’une DAO basée sur une blockchain et ouverte à accueillir les flux de financement dont les promesses affluent de multiples parts. L’hypothèse constitutive de la Corp était en effet que le VSM pourrait enfin trouver son implémentation formelle et efficace sous la forme d’une DAO grâce aux technologies et aux pratiques organisationnelles émergentes de la blockchain.

Les travaux dont rend compte ce rapport ont toutefois conduit à altérer sensiblement ces perspectives d’avenir. La forme de la DAO continuera à offrir un modèle général vers lequel viser tendanciellement, mais à condition de l’émanciper de la dimension financière de cryptomonnaie qui constitue aujourd’hui son mode d’existence et d’opération le plus courant. Les capacités sans précédent de scalabilité offertes par les DAO – c’est-à-dire leurs capacités à pouvoir croître énormément en échelle sans avoir à altérer leurs modalités de fonctionnement – en font un outil indispensable pour toute organisation à visée de coordination planétaire. Mais, comme l’a dûment souligné la lanceuse d’alerte dans ce rapport annuel, les modèles monétaires dont s’inspirent les DAOs actuelles, qui se trouvent souvent réduites à des mécanismes de financement, reposent sur des prémisses vouées à entrer en contradiction directe avec les missions de la Corp (individualisation stricte des modes de collaboration, réduction des agents à des comportements d’homo œconomicus calculateur, coût carbone du minage de tokens par des mécanismes de Proof-of-Work).

Il ne s’agit nullement pour la Corp de renoncer à contribuer aux développements prometteurs d’un Web3 sensiblement différent du Web2 colonisé par le capitalisme de plateforme. Il s’agit au contraire de radicaliser cette différence en rejetant la financiarisation de la vie quotidienne en même temps que sa plateformisation. La Corp entend donc contribuer à l’élaboration d’une nouvelle génération de DAOs, établies sur des bases plus soutenables, écologiquement aussi bien que socialement et anthropologiquement, que celles qui fonctionnent actuellement sur le modèle des cryptomonnaies. L'événement majeur du basculement d'Ethereum, hôte de la première DAO, d'un mécanisme de minage basé sur la « Proof-of-Work » à un mécanisme de sécurisation basé sur la « Proof-of-Stake », basculement opéré avec succès le 15 septembre 2022, constitue certes une mutation aux conséquences énormes dans la soutenabilité d'un Web3 capable d'assurer une gouvernementalité planétaire. Si la « Proof-of-Stake » est considérablement moins énergivore, elle tend cependant à concentrer dans les mains des plus gros opérateurs un pouvoir de décision et de réglementation qui doit impérativement être distribué de façon plus égalitaire. D'où la volonté, largement partagée au sein de la Corp, d'aller encore au-delà des blockchains actuellement existantes, pour élever le Web3 à d'autres dynamiques de relationalité planétaire.

Cette volonté ne relève pas d’un saut utopique dans un avenir rêvé d’où la souillure de l’argent aurait été lavée. Les soucis de financement constituent un problème majeur et incontournable de toute entreprise de terraformation programmée à large échelle. La décision de la Corp doit plutôt s’entendre comme un pari sur la possibilité d’agencer la prise en compte des menaces environnementales selon des dynamiques d’influence permettant la subordination des logiques strictement financières sous la pression d’urgences existentielles partagées aussi bien par les non-humains que par les humains. D’autres types de DAOs seront nécessaires pour implémenter la supériorité de l’impératif d’habitabilité concrète de nos milieux de vie partagés sur la profitabilité (monétaire ou symbolique) des investissements.

Perspectives

À ce stade, trois pistes sont proposées aux énergies de la Corp pour orienter les activités des années à venir.

La première piste consiste à réévaluer les modes de terraformation selon les propriétés complémentaires de quatre échelles relationnelles gagnant à être articulées entre elles de façon précise (c’est-à-dire quantifiée) dans leurs rapports de superposition, de co-enveloppement ou d’incompatibilité.

1° La commensalité réunit des vivants autour de leurs repas, des rituels de préparation et de consommation de nourriture et de boissons. Habiter implique de se nourrir, non seulement de biens consommables mais aussi bien avec des commensaux (étymologiquement : des semblables qui partagent notre table).

2° La convivialité réunit des corps expressifs dans des conversations qui ne se limitent jamais à la communication d’informations codées selon les règles d’un certain langage. La convivialité correspond à la co-présence multi-sensorielle d’un groupe d’étude animé d’une curiosité commune, mais se rencontrant pour le plaisir de se rencontrer, davantage que pour le résultat produit par la rencontre. Ce plaisir est conditionné par l'auto-limitation à des outils conviviaux, c'est-à-dire aisément compréhensibles, contrôlables, modifiables et réparables par leurs utilisateurs.

3° La collaboration réunit des producteurs de biens ou de services dans le but de coordonner leurs opérations productives. C’est elle qu’essaient traditionnellement d’optimiser les analyses économiques, les théories de l’organisation et du management (y compris la version originale du VSM). La déterraformation résulte en large partie de la prévalence exclusive de cette échelle relationnelle aux dépens des trois autres.

4° Enfin, la co-viabilité réunit différentes formes de vie au sein d’un même territoire qui leur sert d’habitat partagé, avec des rapports de symbiose, de synergie, de concurrence et de rivalité. Lorsque les catégories de Stafford Beer sont reprises aujourd’hui et complémentées par l’ajout d’un S pour concevoir des Viable & Sustainable System Models (VSSM), la soutenabilité implique que ce qui est viable pour mon espèce d’existants doive aussi être viable pour les autres espèces dont la diversité trame la vie et le renouvellement de notre écosystème commun.

Si la TerraForma Corp s’est dès l’origine identifiée au besoin de comprendre et d’implémenter des formes d’habitation compatibles avec les besoins de co-viabilité, la réflexion sur l’insuffisance des DAOs structurées comme des cryptomonnaies invite les travaux des années futures à explorer et à valoriser plus intensément les niveaux de la commensalité et de la convivialité, dont dépendent non seulement l’habitabilité de la planète mais aussi la désirabilité des modes de cohabitation qui pourront y être imaginés et réalisés.

La deuxième piste appelle les agents de la Corp à un travail d’exploration, de formulation et de codification préliminaire de ce à quoi pourrait ressembler une DAO dont les échanges de services ne seraient pas fondés sur l’équivalent d’une devise monétaire, mais sur un tout autre système de valorisation. Le candidat pressenti au terme des travaux de cette année est le rapport de « respect » (notée rspct), avec pour enjeu de remplacer le minage de tokens par « Proof-of-Work » avec une multiplication de valeur établie par un processus de « Proof-of-Respect ». Les travaux initiés cette année par le DIU sont au cœur de ce programme de recherche et d’expérimentation, puisque le calcul de la valeur terraformatrice du rspct d’un bien ou d’un service repose sur la computation des influences dont il est le vecteur.

Les modélisations, quantifications et traitements des big data fournies par la sensibilité des capteurs distribués à la surface de la planète mis en place au cours des dernières décennies font espérer de pouvoir quantifier les influences (terraformatrices et détarraformatrices) d’un bien ou d’un service donné sur l’habitabilité d’un milieu de vie. L’analyse des différentes échelles relationnelles pourra à son tour faire espérer de sommer ces différentes influences, de façon approximée, mais suffisamment réaliste pour en tirer un indicateur interceptionnel intégré, qui visera à représenter une tendance d’effets à venir davantage qu’une sanction d’effets avérés. La valeur du RSPCT découlera directement de cet indicateur, dès lors que x > 0.

Le calcul du RSPCT correspond à la fonction centrale du S4 du VSM, celle de l’adaptation de l’organisation à son environnement en transformation incessante, et plus particulièrement encore celle de son adaptation anticipée à ses transformations à venir. Mais en deçà de son paramétrage computationnel, la valeur du RSPCT a vocation à tenir lieu du « respect religieux » que la plupart des populations humaines ont éprouvé envers des divinités et forces naturelles dont la puissance semblait dépasser la leur. Dans un monde aux ressources limitées que l’extractivisme a saccagé par son insouciance consumériste, l’opération de calcul exécutée par l’IA Terra.com pour évaluer le RSPCT dû aux biens et services produits et échangés entre les humains incarne le besoin d’« y regarder à deux fois » (re-spectare) avant de faire passer la production de ce bien ou de ce service à une échelle industrielle qui risquera de détériorer la co-viabilité d’un habitat.

La troisième piste de travail sur laquelle débouche ce rapport annuel pousse à mener davantage de recherches et d’expérimentations dans et surtout avec les capacités spéculatives des intelligences artificielles (IA), dont les progrès récents ont été révolutionnaires dans le domaine de l’apprentissage machine, de la reconnaissance, mais surtout de la génération synthétique de textes, de sons et d’images. L’hypothèse de travail, ici, est que les surprises de la spéculation émanant de dispositifs computationnels peuvent aider notre époque à surmonter les limites imposées à notre imaginaire collaboratif par la mainmise qu’exerce sur lui la spéculation financière.

Un programme est déjà mis en place en partenariat avec l’EUR ArTeC pour monter des ateliers d’expérimentation au sein desquels les agents humains délégueront à des imaginations artificielles la tâche d’écrire, de sonoriser et de visualiser des fragments d’univers restés jusqu’à ce jour inimaginés. Les appareillages computationnels puisant leurs informations dans d’énormes banques de données se contentent certes de répéter le passé en répondant aux questions que nous leur posons sur le futur. Mais, grâce aux corrélations détectées par l’apprentissage profond, les recombinaisons qu’ils proposent de ces données du passé ne sont nullement « aléatoires ». Elles reproduisent non seulement les biais (racistes, sexistes, classistes, validistes) hérités d’un passé raciste, sexiste, classiste et validiste, mais également les intelligences communes (et peu communes) accumulées dans le patrimoine collectif dont se composent ces bases de données.

Expérimenter avec les façons dont des IA complètent les débuts de phrases, de récits, d’argumentaires, de chansons, ou de films que nous leur soumettons, c’est donc enrichir les intelligences et les imaginations de nos individualités, à la fois infinies et limitées, par l’apport d’intelligences et d’imaginations multipliées, pluralisées, décentralisées et dotées d’une certaine autonomie de recombinaison. Une DAO peut réaliser la co-activation des volontés simultanées disséminées dans l’espace, au sein d’un processus dont les résultats sont imprévisibles, selon le projet qui a émergé au titre de la TerraForma Corp. De même, l’expérimentation avec les capacités spéculatives des IA peut aider la TerraForma Corp à frayer des imaginations dont les dérivées, quoique répétant le passé, accéléreront l’avenir.